A la
mémoire du Doshu
Kisshomaru Ueshiba
par Stanley
Pranin
Aikido Journal n°117 (1999)
Traduction française : Ludwig Neveu.
Reproduit ici avec l'aimable autorisation de Monsieur Stanley Pranin
- Aikido Journal ©
L’article qui suit a été préparé avec l’aimable
assistance de Jon Aoki.
Dans ce numéro nous commémorons la
disparition de la personnalité que beaucoup considèrent
comme le principal responsable du développement et de la
diffusion de l’aïkido après la guerre. Par la longue
période passée à diriger le Zaidan Hojin Aikikai, par ses
nombreux livres et voyages, le Deuxième Doshu Kisshomaru
Ueshiba a laissé sa puissance empreinte personnelle sur l’aïkido
tel que nous le connaissons aujourd’hui. Il croyait
fermement en la préservation et la poursuite de l’héritage
du fondateur, Morihei Ueshiba, et de l’importance de la
famille Ueshiba comme centre administratif, spirituel et
technique de cet art.
La figure de Kisshomaru Ueshiba comme
point de référence pour l’évolution de l’aïkido a pris
un caractère presque royal au cours de ses dernières années
comme Aikido Doshu. Bien que l’on fit référence à son
père comme du “Doshu” au déclin de ses jours, c’est
Kisshomaru qui définit la nature et l’ampleur du rôle de
Doshu comme nous le connaissons actuellement. Le Doshu n’est
pas seulement le successeur et l’administrateur de l’aïkido,
mais c’est aussi un ambassadeur et un porte-parole de l’aïkido
dans une communauté internationale comptant plusieurs
centaines de milliers de pratiquants dans plus de soixante-dix
pays. Le Doshu est souvent consulté comme médiateur dans la
résolution des inévitables problèmes qui surgissent dans la
croissance d’un art si dynamique. Il garantit l’intégrité
et la continuité de l’aïkido selon la vision de la famille
Ueshiba.
Enfant, Kisshomaru Ueshiba paraissait un
candidat peu probable pour succéder à son père. En fait,
bien que peu de gens le sachent aujourd’hui, le fondateur a
même sélectionné un autre comme successeur en 1932, par le
mariage de son unique fille à un kendoka célèbre. Mais
cette union ne dura que quelques années à la suite
desquelles la question de l’identité du successeur de
O-Sensei resta posée. Kisshomaru, qui avait été un enfant
plutôt fragile, commença à pratiquer sérieusement au
lycée. Plus tard en 1942, alors qu’il était étudiant à l’université
Waseda de Tokyo, la responsabilité du fonctionnement du vieux
Kobukan Dojo retomba soudain sur ses épaules alors que la
guerre commençait à mal tourner et que O-Sensei s’était
retiré à Iwama. Le Hombu Dojo fut quasiment abandonné
pendant les années de guerre et, à une occasion, faillit
finir incendié du fait des bombardement alliés. Kisshomaru,
aidé par des voisins, parvint de justesse à sauver le dojo
de la destruction en jetant des seaux d’eau sur le feu.
En 1948, après la conclusion de la
Deuxième Guerre Mondiale, le Doshu prit le poste de dojo-cho
du Hombu Dojo réorganisé en Zaidan Hojin Aikikai. C’était
une époque où la pratique des arts martiaux était interdite
par le G.Q.G. et ces disciplines étaient considérées
négativement par le public, qui les associaient avec la
mentalité militaire d’avant-guerre qui avait mené le Japon
au bord de la destruction. Dans ces circonstances, il était
quasiment impossible de gagner sa vie en enseignant les arts
martiaux et Kisshomaru prit bientôt un emploi chez Osaka
Shoji, une société financière. Enfin, en 1955 environ, l’activité
au Hombu Dojo s’intensifia et le Doshu eut la possibilité
de quitter son emploi et de se consacrer à plein temps à la
direction du dojo.
En 1957, Kisshomaru publia son premier
livre intitulé “Aikido”, qui bénéficia d’un succès
immédiat et connut plusieurs réimpressions. Les activités
du Doshu comme auteur de plus de vingt livres sur l’aïkido
auront joué un rôle majeur pour former la perception de cet
art par le grand public. De plus, ces livres présentèrent au
public la figure du fondateur, Morihei Ueshiba, et
contribuèrent à faire prendre la mesure de son génie.
Les années 1950 et 1960 sont
considérées comme l'Age d’or de l’Aikikai Hombu Dojo. Le
Doshu et Koichi Tohei partagèrent la tête de l’Aikikai et
étaient unis par un lien familial, s’étant mariés à deux
soeurs. Les deux hommes partagèrent la direction durant cette
période de croissance intensive, avec Kisshomaru comme
directeur du dojo et Tohei comme innovateur technique et chef
du personnel enseignant du dojo (shihan bucho). Ils finirent
par se séparer et Tohei démissionna de l’Aikikai en 1974.
Cette scission divisa le monde de l’aïkido
mais il en résulta que la position du Doshu devint
incontestable à l’Aikikai. A partir du début des années
1970, il commença à produire à flot régulier des ouvrages
techniques qui redéfinirent progressivement le cursus
technique du Hombu Dojo selon son interprétation personnelle.
Le nombre de techniques généralement pratiquées se réduit
par rapport à des temps antérieurs, et leur nomenclature se
standardisa. Les techniques eurent tendance à être
pratiquées de manière fluide (ki no nagare), avec l’accent
sur les mouvements circulaires. Le but semblait de rendre les
techniques de l’aïkido facilement compréhensibles et
attractives pour le grand public. C’est aussi au cours de
cette même période que le Doshu commença à préparer son
fils Moriteru à être le futur chef de file de l’art. Ce
processus dura plus de vingt-cinq ans au cours desquels le
pouvoir et les responsabilités du Doshu furent
progressivement transmis au jeune Ueshiba, aujourd’hui
Troisième Successeur. Cette transition des rênes du pouvoir
en douceur de père en fils atteste de la sagesse guidant la
formation de son successeur par le Doshu.
1976 vit la création de la Fédération
Internationale d’Aïkido avec le Doshu comme président.
Bien que cette organisation n’obtint jamais une grande
influence politique, elle servit tout de même à renforcer le
statut du Doshu comme chef de file international de l’aïkido.
Il commença à voyager plus fréquemment, apparaissant à la
plupart des réunions de la Fédération Internationale d’Aïkido,
conférant ainsi un air d’autorité et de prestige à ces
assemblées. Dans ses voyages, le Doshu enseigna et apparut en
personne devant des dizaines de milliers de pratiquants.
Les années 1980 et 1990 virent une
consolidation du rôle de l’Aikido Hombu Dojo en tant qu’entité-mère
du grand courant de l’aïkido à travers le monde. C’est
au cours de ces années que le Doshu forgea une politique d’ouverture
et de réconciliation sur le plan politique. Il examina avec
soin et fit entrer un certain nombre de grands groupes
indépendants d’aïkido qui cherchaient à être affiliés
avec le Hombu Dojo. Qui plus est, le Doshu accepta que
plusieurs associations qui avaient autrefois fait partie de la
sphère Tohei rentrent dans l’organisation-mère. Il est
certain que cette approche éclairée de la politique restera
comme une de ses réussites les plus éclatantes.
Le Doshu étant occupé en priorité par
les exigences de son rôle de leader, impliquant d’innombrables
apparitions publiques et de nombreux voyages, il est facile de
négliger son importance comme historien et chercheur. Sa
biographie du fondateur, “Aikido Kaiso Ueshiba Morihei Den”,
publiée en 1977, reste l’oeuvre concernant son père
faisant encore autorité à ce jour. Cette oeuvre essentielle
doit être rééditée cet été après avoir été épuisée
pendant de nombreuses années. Le Doshu a également produit
un flot constant d’articles et a mené de nombreuses
entretiens avec des amis et des connaissances du fondateur,
dont beaucoup ont été publiés au fil des ans dans l’Aikikai
Shimbun puis l’Aikido Shinzui, un magazine du Hombu publié
ces dernières années. Il fut à la fois un acteur-clé et un
érudit de l’histoire ancienne et moderne de l’aïkido. A
ce titre, la perte de son immense savoir sera durement
ressentie.
Passer en revue diverses chronologies du
Doshu permet d’établir une liste de toutes ses nominations,
récompenses, et nombreux voyages. Ces faits valent
certainement la peine d’être mentionnés, mais ne sont en
réalité que les manifestations superficielles de ses
activités en tant que Doshu. Son véritable héritage réside
dans la façon dont il a transformé la perception de l’aïkido
pour la conformer à sa vision d’un art conçu à attirer le
grand public à l'échelle internationale. Le point de vue du
Doshu n’était pas celui d’un aïkido comme art de
self-défense, mais plutôt comme outil de promotion d’harmonie
sociale et de coopération entre les nations.
Le Doshu Kisshomaru Ueshiba a pour
successeur son fils, Moriteru, 48 ans, par coïncidence l’âge
que son père avait quand il a pris le poste de Doshu. La
préparation soigneuse, et la vaste connaissance de l’état
de l’aïkido à travers le monde, du Troisième Doshu,
assurera sans aucun doute le développement futur et l’intégration
de l’art de O-Sensei à la culture mondiale.
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